Lettre à L. Calaferte de Valérie Rossignol

 

 

 De la Lettre à Louis Calaferte, de Valérie Rossignol (éd. Tarabuste, décembre 2018), par Serge Rivron

 

A.B.C.D.E.F.G.H.I.J.K.L.M.N.O.P.Q.R.S.T.U.V.W.X.Y.Z. Réfléchissez à ça.
(L.C., in Paraphe)

Les mots sont faits pour scintiller dans tout leur éclat.
(L.C., in Septentrion)

 

Septentrion est sans doute, de tous les livres que j'ai lus, celui que j'ai lu le plus vite, le plus avidement, le plus éperdument. Commencé sur un banc, pendant 48 heures je ne l'ai plus quitté, lisant en marchant dans les rues, dans le métro, au lit, à la lumière des lampadaires et sous la pluie. C'était il y a trente ans. Et Septentrion m'était resté comme un monolithe planté dans la mémoire.
C'est souvent par ce texte qu'on rencontre Louis Calaferte, et c'est aussi par ce texte que Valérie Rossignol est allée vers l'auteur. Dans la Lettre qu'elle lui écrit et nous livre, elle déplie le sortilège, le déroule comme elle l'a reçu : Certaines de vos pages sont répugnantes. Infâmes. C'est dit avec la neutralité de ton qui convient à qui ne pense plus.(…) Suffisamment bien écrit pour qu'aucun interstice ne laisse filtrer la lumière. Elle dit sa rage, la sienne en découvrant le livre, et celle que lui découvre le livre : Vous me blessez. Comme vous me blessez, je vous écris.
J'ai donc relu Septentrion, 30 ans après. Au commencement était le sexe. C'est raide, ça va droit aux choses… On peut comprendre qu'un lecteur des années #metoo soit surpris. Une lectrice encore plus, surtout si l'on se souvient de l'engouement que suscita ce texte au moment de sa seconde parution, en 1984, après vingt et une années de censure et d'interdit à la vente. Sous cet angle, Septentrion, récit d'une subversion écrit dans l'urgence d'une révolte intime – peu avant ce qu'il est convenu d'appeler la libération sexuelle –, c'est devenu un livre d'homme, comme on le dit de certaines boissons.
Mais la densité de l'écriture opère, sa démesure lubrique, la rage libératoire dont elle témoigne, obligent toujours et encore au décentrage, à l'affrontement. La Lettre à Louis Calaferte est l'histoire de cet affrontement.
On dit parfois d'un texte qu'il résiste. Septentrion tient bon, dans tous les sens du terme, à travers le temps conduit à d'autres des écrits de son auteur (notamment Rosa mystica et Partage des vivants) et puis à l'œuvre entière, et finalement à l'homme qu'il fut, ou à celui qu'on imagine, réconcilié et à qui l'on voudrait parler, jusqu'à l'avoir complètement rassuré.
La Lettre que Valérie Rossignol adresse à Calaferte n'est ni une critique littéraire, ni une biographie déguisée. C'est bien une lettre, la lettre d'une lectrice devenue amoureuse, au-delà de l'indignation première et au-delà du temps, d'un homme qui maniait l'écriture comme un scalpel incise un organe pour en retirer la tumeur maligne qui le faisait mourir. Quelque chose comme l'exorcisme finalement offert à celui dont elle cite cette étrange incantation : "Je veux vivre par l'exorcisme".

Serge Rivron

 

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