Économie de marché - Nouvelle de C. Lartas

"Économie de marché" est parue dans la revue "L'Ampoule HS n° 1 " des éditions l'Abat-Jour (2017).

Le système de retraite par capitalisation a pris effet dans toute l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural en passant par le Bosphore, depuis neuf mois. En vertu de quoi l’âge légal de la retraite recule jusqu’à quatre-vingts ans (avec toutefois la possibilité de faire valoir ses droits à compter de soixante-quinze ans pour certains métiers eu égard au compte prévention pénibilité). La durée du temps de travail est fixée à 77 heures hebdomadaires, avec un salaire maximal de 509, 01 à la clé. Tout individu qui se refuserait à entériner ces nouvelles réformes (au reste, there is no alternative) et réclamerait, en outre, la restauration du système de retraite par répartition, l’indexation des salaires sur le taux d’inflation, le retour des congés payés (les « congés payés », vraiment, quel monstrueux conservatisme !) ou le rétablissement du « droit de grève », se verrait dûment expédié dans les camps ergothérapeutiques situés en Alaska, en Chine, au Brésil, en Inde, au Canada, en Australie, au Groenland et en Sibérie.

Pas une seule semaine ne s’écoule qu’un flot de luxueuses automobiles (parmi lesquelles figurent souvent des Porsche ou des Ferrari, des Mercedes-Benz ou des Lamborghini, des Rolls-Royce ou des Maserati) ne fasse irruption dans les bidonvilles communs ou géants du monde entier avec notamment à leur bord des bandes de traders, de promoteurs immobiliers, d’officiers supérieurs, de banquiers, de techno-scientistes, de « people », lesquels se divertissent à arroser de balles, au pistolet-mitrailleur, les rues populeuses à l'excès de ces lieux. Lorsqu’ils repèrent d’autre part des campements de SDF (formellement interdits par la loi), ils stoppent net leurs véhicules, se ruent sur les occupants desdits campements, les rouent de coups jusqu’à plus soif, hilares, puis, toujours dans l’hilarité la plus totale, les aspergent de gazole, et, au moyen d’allume-barbecues, les enflamment en se réjouissant au plus haut point de les voir brûler vifs. Pas un jour ne se passe qu’une portion de jungle, un bois, une colline, une exploitation agricole, voire une simple coulée verte, ne disparaisse afin de faire place, entre autres exemples, à un parc de loisirs, un club trioliste, un espace « beauté » ou « détente », un centre de fitness haut de gamme, un palace, un aérodrome à usage privatif, un stade olympique, un supermarché du luxe... Les plages du monde entier relèvent aujourd’hui du secteur privé (bien sûr, les « parcs naturels » et  les « zones littorales protégées » ont été précédemment supprimés) ; les tarifs en vigueur pour y accéder, fût-ce une demi-heure, sont prohibitifs, en sorte que seuls les gagnants de la globalisation ont la capacité financière de jouir de ces lieux.

Les pauvres constituant les neuf dixièmes de l’humanité, il va de soi que leurs cadavres sont systématiquement recyclés dans les industries agroalimentaires, les parties consommables étant transformées en croquettes pour animaux domestiques, et la « carcasse » se trouvant incorporée aux farines animales avec quoi l’on nourrit les gigantesques élevages de poulets et de porcs en batterie, traités aux hormones de synthèse, destinés à l’alimentation des susdits pauvres. Ainsi la boucle est bouclée de fort ingénieuse façon. Seules les élites ont la faculté d’envoyer leurs progénitures étudier dans les divers établissements scolaires rigoureusement privatisés depuis longtemps ; de même, puisqu’il ne demeure plus un seul hôpital public où que ce soit dans le monde, seules lesdites élites ont la faculté de se soigner, voire de prolonger leur existence de façon remarquable au moyen des thérapeutiques de pointe de type transhumaniste. En parallèle les membres du salariat, lorsqu’ils sont atteints d’une maladie grave (ce qu’il advient en règle générale vu leurs conditions de vie ; la fréquence des cancers ou des maladies auto-immunes se trouvant par ailleurs chez eux notoirement élevée), se voient condamnés à dépérir dans les arrière-salles de ces ersatz de dispensaires sous-équipés et surpeuplés qu’on appelle « maisons de santé » et qui se propagent sur la planète telles des amanites phalloïdes dans un climat pluvieux.

Regarder la télédistribution des États-Unis d’Europe au moins trois heures par jour ou par nuit après sa journée ou sa nuit de travail est obligatoire (cette obligation n’intéressant que les non-actionnaires). Ceux qui dérogeront à cette règle — nécessaire à la bonne marche des démocraties nouvelles seront appréhendés sur-le-champ par les forces de police et écroués dans le délai le plus bref dans les camps de rééducation New Deal  (situés en Turquie, au Japon, en France, en Pologne, au Mexique, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie, au Kazakhstan, en Arabie saoudite, en Hongrie et en Espagne) que gèrent des sociétés d’économie mixte financées pour une large part par les impôts et les taxes auxquels sont exclusivement soumis les membres du salariat. Tout le long de leur captivité les détenus seront dans la contrainte d’étudier au moins six heures par jour ou par nuit autant les œuvres complètes d'Augusto Pinochet, Ronald Reagan, Margaret Thatcher, Gerhard Schröder, George Walker Bush, Boris Eltsine, José María Aznar, Tony Blair, José Manuel Barroso, Vladimir Poutine, Angela Merkel, Jean-Claude Juncker, François Hollande et Donald Trump entres autres praticiens-novateurs notoires du néolibéralisme — que celles des théoriciens-fondateurs dudit néolibéralisme, à savoir Joseph Schumpeter, Friedrich Hayek et Milton Friedman. À quoi se superposera la lecture assidue, durant les heures de loisir octroyées à chacun, des nombreuses biographies et études consacrées à ces très-grands hommes. Au bout de quinze années d’incarcération, les susdits détenus dont le comportement aura donné toute satisfaction à l’autorité administrative seront rendus à la liberté, sans casier judiciaire ni collier électronique, à la condition qu’ils accepteront un emploi à durée indéterminée — insigne faveur de nos jours — au sein des URCI (« Usines de Recyclage de Cadavres d’Indigents »).

2 thoughts on “Économie de marché - Nouvelle de C. Lartas”

  1. Turambar dit :

    Joseph Schumpeter n'a rien d'un précurseur du néolibéralisme !!
    Certes, ce n'était pas un socialiste non plus, mais il s'agit d'un économiste qui entre dans la catégorie des hétérodoxes "inclassables", qui serait sans doute en colère de se voir accolé à Hayek !!
    Pour rappel, il pensait que le capitalisme était condamné, tandis que le socialisme allait perdurer.
    Il défendait le rôle majeur de l'entrepreneur, certes, mais comme aventurier innovateur et non comme exploiteur capitaliste de la misère du monde...

  2. JL dit :

    Je ne vois pas trop en quoi c'est une nouvelle et c'est assez cliché.

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