Domecq, sur l'Ambiance littéraire française...

 
Ceci est un livret en 5 chapitres d'articles publiés entre 2021 et 2023.
Sur l'actualité de Sollers, Houellebecq, Genet, Kafka...
 
Par Jean-Philippe Domecq
 
 
 

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De l’inutilité de mettre l’évidence sous les yeux des cultivés, le 1er septembre 2023

 

  • Céline, dans Les Beaux Draps en 1941: « Pas un racisme de chicane, d’orgueil à vide, de ragots, mais un racisme d’exaltation, de perfection, de grandeur. Nous crevons d’être sans légende, sans mystère, sans grandeur. Nous périssons d’arrière-boutique. »
  • Sollers : « Céline mérite une compassion infinie.»

            Le plus affligeant, dans ces deux citations, n’est pas qu’elles ne sont pas cueillies au hasard, ou pour démonstration, tant on pourrait en tirer des kyrielles de même tonneau chez l’un et l’autre auteur ;

le plus accablant n’est pas que Céline soit manifestement ravi par sa saloperie d’abruti ;

le plus répugnant n’est pas l’abrutissement lettré perpétré par Sollers qui a eu tout le temps, lui, de mesurer les conséquences de l’antisémitisme de 1941;

le plus scabreux n’est pas que Céline en procès ait répété que ses diatribes enthousiastes pour l’élimination des Juifs « n’était que littérature » ; le plus tordu n’est pas que Sollers ait reproduit le même blanchiment littéraire en se trouvant « libre », forcément libre et suavement provocateur de rédimer un écrivain parce qu’il fut écrivain, méritant compassion en effet, lui qui indisposait l’écrivain Ernst Jünger et ses collègues de la Wehrmacht qu’il trouvait « trop mous », et cela Sollers le savait  ;

le plus vrai et avéré n’est pas que Sollers ait pareillement encensé la dictature prolétarienne, puis maoïste, puis la papauté de Jean-Paul II, le libéralisme-ultra, etc – toutes les saloperies de son temps, si on regarde bien ;

le plus abject n’est pas que Sollers ait lancé « Mères, tremblez pour vos filles ! » pour célébrer la pédophilie de Gabriel Matzneff qui en assumait joyeusement la matière dans toute son œuvre, qui fut toujours promue par le journalisme culturel ; du même acabit, Maurice Sachs au moins avait l’écriture tordue par la mauvaise conscience d’être un tordu.

Non : le plus asphyxiant est qu’il y ait des cultivés qui voient du « moralisme » dans ce simple rappel de mémoire ; le plus d’époque est que celle-ci entende « moralisme » au premier mot d’inquiétude morale – mais, retour de refoulé, elle fait grand retour sur Camus ;

le plus fumeux est que les mêmes balaient « tout ça » - fièrement - au nom de la « liberté » d’en finir « avec les querelles idéologiques » ;

le plus gênant n’est pas que, même dans ses diatribes de salaud, Céline restait le grand styliste de ses romans, tout comme Rebatet hélas, mais qu’il y ait des cultivés aujourd’hui pour trouver quelque style dans « l’écrituuure » de Sollers tout en tressautements mondains et quelque profondeur dans sa pensée saturée de références culturelles et tout en allusions systématiquement interrompues pour faire sous-entendre ce qu’il ne saurait dire, et pour cause ;

le plus vain, dans ce que je viens d’aborder, est qu’il est vain de l’aborder ; être cultivé, on le sait, n’empêche pas.

On ne peut parler qu’à très peu, entre Quelques, de ce que peut bien être la littérature dont on ne doute pas lorsqu’on en lit d’excellente.

 

 

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https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/25/le-debondage-mediatique-sur-kafka-revele-ce-qui-fait-le-charme-de-la-litterature-et-pourquoi-elle-se-survit_6179145_3232.html

« Le débondage médiatique sur Kafka révèle ce qui fait le charme de la littérature et pourquoi elle se survit »

Dans une tribune au « Monde », le romancier Jean-Philippe Domecq revient sur les polémiques ayant suivi la dernière édition de l’émission « La Grande Librairie », le 31 mai, au cours de laquelle l’œuvre-phare de l’écrivain Franz Kafka a été moquée.

Publié le 25 juin 2023 à 10h00

Le 31 mai, à « La Grande Librairie » [sur France 5], on a pu entendre, grâce aux auteurs que le présentateur [Augustin Trapenard] invita à y aller dans « l’irrévérence » et « le décalé », que La Métamorphose de Franz Kafka (1883-1924) était un texte « malaisant, où y’a jamais d’espoir, je suis consterné par ça » (Philippe Besson) ; « En gros c’est un mec qui a la flemme, il va pas au travail et se transforme en cafard. J’ai compris la métaphore à la deuxième ligne, donc faire deux cents pages… On nous prend pour des débiles », acheva Faïza Guène. Qui ne croyait pas si bien dire.

Bêtise et vulgarité, soit. Mais il y a plus intéressant que ça dans ce débondage médiatique, qui est très positif, en fait. Il révèle a contrario ce qui fait le charme de la littérature et pourquoi elle se survit, étrangement. Du même coup, il fait ressortir l’actuelle tendance que j’ai nommée « la Culture contre la culture » et qui explique qu’on a donné tant de place au « glauquisme » littéraire (Houellebecq et consorts) et au simplisme idéologique (Onfray, BHL, etc.).

Les premières protestations prirent l’attitude de la littérature offusquée : « Nos classiques ! »… Or, nos passions démocratiques se moquent bien de « nos classiques ». En vertu de la liberté individuelle, nous vivons désormais dans un vaste « J’ai bien le droit », qui confond égalité des droits et égalité d’intelligences. Intelligences !… Ce mot paraît arrogant ?

Nos rigolos d’aujourd’hui

Alors faisons un test, comparons avec une autre époque. Kafka en a subi d’autres, après-guerre : « Faut-il brûler Kafka ? » fut la polémique lancée par des intellectuels communistes dans la revue Action en 1946. Nos rigolos d’aujourd’hui diront-ils que c’était intelligent ? Chaque époque a sa bêtise datée, son miroir grossissant, grossier.

Le marxisme littéraire s’en prenait au « pessimisme » démobilisateur et « petit-bourgeois » de l’auteur du Procès. D’ailleurs, à Prague sous férule soviétique, jusque dans les années 1980, il fallait chercher par soi-même les lieux de Kafka, dont aujourd’hui on tire le portrait sur les tee-shirts et les menus touristiques.

Là, on commence à voir ce que la littérature a de fort, parce que dérangeante, parce que prospectrice de ce qui n’est pas formulé sans elle. Effectivement, l’œuvre de Kafka a tout dit des angoisses du XXe siècle, et d’avant et d’après : son individu lambda, simple initiale, « K », est pris dans le labyrinthe où nous naissons.

Voilà du « décalé », mais terrible, subtil, pas du tout à la gueulante, au contraire. Kafka aurait gentiment souri à « La Grande Librairie », s’excusant d’exister, lui qui avait mieux à faire, son « salut », disait-il, qu’une carrière littéraire, et qui sortait tout sourire de chez l’éditeur où il avait publié une nouvelle : « Il en a vendu onze exemplaires, j’en ai acheté dix, j’aimerais tellement savoir qui est le onzième ! »

Un humble parmi les humbles

Eh bien, c’est cela, le charme de Kafka, qui a suscité la deuxième vague de protestations après l’orgie d’ineptie médiatique. La spontanéité des réseaux sociaux a même été fort juste, défendant cet auteur qui fut un humble parmi les humbles. Lui qui notait : « Dans ton combat contre le monde, seconde le monde. » On est loin de la foire d’empoigne concurrentielle.

C’est inséparable, l’auteur et l’œuvre qui nous parlent intimement, dans le temps. C’est comme l’amour que Franz suscita en Milena Jesenska (et dont on peut lire les lettres détruites qu’a finement reconstituées Marie-Philippe Joncheray, dans J’avance dans votre labyrinthe. Lettres imaginaires à Franz Kafka, paru aux éditions Le Nouvel Attila) ; la notice nécrologique que Milena fut la seule à lui consacrer prouve qu’il n’y a pas plus intelligent que l’amour quand les mots le font. De même, l’aura que le philosophe et critique allemand Walter Benjamin (1892-1940) attribue aux œuvres d’art vaut pour la littérature : ce qui nous atteint, c’est le karma, le charme auratique qui émane de l’auteur incarné par son œuvre.

On peut penser, au vu de l’actualité, que c’en est fini des temps où l’esprit de finesse et des « quelques-uns » dont Victor Hugo disait qu’ils font l’avenir de la littérature, ou de la minorité qui, selon Marcel Proust, servit de première caisse de résonance aux audacieux quatuors de Beethoven. Mais, les hommes voulant vivre, on peut ou il faut parier qu’ils inventeront toujours, demain comme hier, ce charme qualitatif sans lequel la vie est lourde, lourde.

Jean-Philippe Domecq a publié sur ce sujet Qui a peur de la littérature ? (Mille et une nuits, 2002). Il est aussi l’auteur de L’Amie, la mort, le fils (Thierry Marchaisse, 2018).

Jean-Philippe Domecq (Romancier et essayiste)

 
 

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