De Terre et de Chair de Valérie Rossignol par Didier Ayres

Chronique de Didier Ayres,                clic sur la couverture
Relation à la nudité par Didier Ayres

Ce petit livre, né avec une toute nouvelle maison d’éditions laquelle publie ici son premier livre, est une double exploration du nu : tout d’abord du nu masculin comme sujet de pose d’une sculptrice, et ensuite d’un amant, qui forme les deux parties de l’ouvrage ; d’un côté la terre de l’artiste, puis de l’autre la chair de l’amant – ou pour mieux dire, la double nudité des deux amants. Ainsi, que Valérie Rossignol écrive sur son sentiment à l’égard de son modèle masculin vivant, pour ensuite se concentrer sur l’homme charnel devenu amant, c’est toujours le corps qui s’exerce ou que l’on exerce à l’art. On ne quitte donc pas le régime de la sensualité. Homme de terre, puis homme de chair, est-ce le secret de la création artistique, infléchie par le regard et le désir ?

Du reste, cette différence entre les deux ordres de nudité, se double du caractère immobile du modèle – nécessaire à la fabrication de la statue de terre – et du mouvement de l’activité amoureuse. Mais ces deux registres ne sont pas hermétiques l’un à l’autre. Sculpter la terre est une manière de désir esthétique de saisir quelque chose de la chair de l’homme. En n’oubliant pas que, pour celui qui pose, il entre aussi une relation de désir sourde et palpable. Capture du corps, capture du désir. Capture du sujet esthétique, capture du sujet sexuel.

Nous découvrons notre âme sœur, nos corps de siamois, mimant ce que l’autre ressent, vibrant à l’unisson, soupirant quand l’autre soupire, ouvrant la gorge à cette destinée commune, s’offrant sans retenue comme si chaque partie de notre être était un prolongement de l’autre.

La sculpture, en un sens, est un art de l’arrêt, d’un moment qui se fixe ; et comme dans l’amour, dans l’activité sexuelle le temps bref du désir, toujours renouvelé, et le temps long de la vie de couple, sont des formes temporelles propres chacune au passage, à l’usure des heures – même si peut-être il peut y avoir pérennité dans la conservation de l’œuvre d’art. Mais il subsiste deux régimes : le contemplatif et l’actif ; celui de l’amour en sa qualité d’échange, et celui de la création, sorte d’instant sans présent, méditation au moins sur le corps métaphysique des modèles de l’artiste. Sculpter cherche éternité ; aimer cherche mourir.

Certains hommes ne voient pas l’intérêt qu’on pourrait porter à leur nudité, parce qu’ils sont des hommes. Ils comprennent progressivement qu’il s’agit de la nudité de l’être et donc de l’âme autant que de celle du corps et se prêtent au jeu du dépouillement.

Les deux caractéristiques à elles seules nomment un espace physique, délimitent le lieu du silence dans l’œuvre plastique, et celui de la chambre où habiter physiquement le désir qui accompagne l’amour.

Pour préciser mon sentiment devant ce livre, je dirais qu’il fait littérature. Il y a d’autre cas dans l’histoire des Lettres comme celui de Charles Juliet et son travail autour de Bram Van Velde, ou plus historiquement, l’œuvre de Rilke écrite autour de Rodin. Car l’expérience de la sculptrice ici, rentre profondément dans le secret de son propre travail, avec le trope principal du nu masculin. Il y a aussi un peu du travail de Sophie Calle quand elle invitait des inconnus à dormir chez elle.

Pour résumer en quelques dernières lignes la portée de l’opus de Valérie Rossignol, j’ajouterais que l’on se retrouve dans la plasticité, l’impression meuble du corps masculin, comme si écrire pouvait passer au-delà de cette sensualité, et aller vers un monde sans corps, fait juste « d’être de papier » – comme l’écrit si intelligemment Paul Valéry. Donc dans la poursuite d’écrire, il y a à la fois la présence du désir et sa mimique, sa duplication, où ce qui est matériel s’essentialise, se substantifie pour rendre possible écrire.

Qui suis-je pour avoir ainsi envie de t’honorer ? Une femme et uniquement cela. Je ne suis rien. Et tu n’es rien non plus. Ce qui ne veut pas dire que nous soyons insignifiants. Nous avons besoin de réunir nos êtres pour que la fulgurance se produise.

Article publié sur le blog  Trames nomades

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.